A l’occasion de l’édition 2014 d’Une Fleur, Une Vie, le Nouvel Obs a sélectionné et publié un article écrit par Elisabeth Martineau ! Lire l’article sur leplus.nouvelobs.com


Mon bébé est mort in-utero : j’ai pu voir ma fille, me dire que j’étais mère… et avancer.

Il y a bientôt 17 ans, j’ai perdu mon premier bébé à terme d’une grossesse heureuse. Je ne croyais pas cela possible. Après neuf mois d’attente, de rêves, de projets, de préparation intérieure et extérieure – mon mari avait engagé de gros travaux sur la maison – le cœur de notre enfant a cessé de battre, sans prévenir.

“C’est très rare, m’a dit médecin-échographiste, mais ça arrive, j’en suis désolée”. C’était une femme toute douce.

Après une période de sidération, il a fallu faire face : accoucher d’un enfant mort, le nommer, l’enterrer, confronter la famille et l’entourage. Mon ventre était rond, un enfant allait naître et sans raison apparente, tout a été annulé. Il fallait ranger les petits vêtements du bébé dans des cartons, remettre mes habits d’avant, retravailler, retrouver confiance en moi et en la vie.

Pendant longtemps je n’avais plus envie de rien. Je craignais la longue nuit avant de me coucher, et la longue journée au réveil. Il fallait manger pour reprendre des forces.

Je m’étais attachée à mon enfant à qui j’avais écrit régulièrement dans un petit carnet pendant toute ma grossesse. Je passais mes journées à rédiger des lettres aux amis, à la famille, pour raconter ce qui nous était arrivé, à m’en tordre les boyaux et à vider toutes mes larmes.

Chercher du sens

Au fond de moi, je savais que le drame que je vivais trouverait un jour un sens. Un bébé ne pouvait pas venir au monde de cette façon, sans aucune raison. Cette certitude était ma bouée de secours. Je m’y accrochais pour reprendre l’air. Était-ce une forme de foi au destin cultivé dans ma famille d’origines polonaises, habituée à accepter l’absurdité de la guerre et des déportations ? C’est peut-être cela qui m’a aidée. Et une sage-femme qui avait les bons mots pour me soutenir dans cette épreuve. Elle m’a permis de ré-humaniser mon enfant que mon imaginaire avait transformé en monstre entre l’annonce du décès et sa mise au monde.

J’ai pu accoucher comme prévu, dans l’intimité avec cette professionnelle et mon mari, dans un hôpital qui respectait notre besoin de temps.

J’ai pu voir ma petite fille aux doigts longs et fins, la toucher, la caresser. Me dire que j’étais néanmoins mère, même si la vie de mon enfant était particulièrement courte. Je l’ai accompagnée dans les étapes que donne le temps des obsèques. Une chance… J’ai eu beaucoup de chance malgré tout.

Des situations délicates

D’autres couples perdent leur enfant suite à une Interruption médicale de grossesse (IMG). Puisque la technologie permet aujourd’hui de déceler de plus en plus d’anomalies chez le fœtus, il arrive qu’une future mère découvre au moment de l’échographie morphologique du 5e mois de grossesse, que son bébé n’est pas viable.

Dans ce cas, elle doit “choisir” entre un arrêt quasi immédiat de la grossesse ou la poursuite de celle-ci, une option qui se fait de plus en plus, sachant que l’enfant va décéder pendant ou rapidement après l’accouchement. Des soins palliatifs sont mis en place pour le bébé dans ces cas si nécessaire, tout comme pour les grands prématurés qui ne pourront pas s’adapter à la vie.

La pré-éclampsie, deuxième cause de mortalité maternelle en France après l’hémorragie de la délivrance, est une pathologie qui oblige les équipes médicales à faire naître des bébés, peu importe le terme, pour sauver la mère.

La peste ou le choléra

Dans d’autres situations ou un bébé est viable, mais sera lourdement handicapé, les couples peuvent avoir recours à l’IMG. Les équipes éthiques pluridisciplinaires des CHU ont défini certaines pathologies considérées comme étant “incompatibles avec la vie” : la Trisomie 13, 18, ou 21 ; tout comme d’autres maladies incurables à l’heure actuelle telle la Spina bifida.

C’est particulièrement difficile pour des couples lorsque le diagnostic n’est pas parfaitement clair. Par exemple, lorsqu’un bébé est atteint d’une malformation cardiaque, qui est opérable, mais dont les chances de survie sont de 50%.

“Il fallait choisir entre la peste et le choléra”, me disait une maman qui a appris à sept mois de grossesse, que son bébé était atteint de multiples malformations.

Dans tous les cas, vivre sachant qu’on a décidé de la fin de vie de son enfant est pour un grand nombre de couples, un fardeau qu’ils portent toute leur vie.

Un manque de compréhension

L’entourage a du mal à comprendre ce que ressent un couple qui perd un enfant attendu. Il est vrai que même si aujourd’hui les membres de la famille peuvent voir le corps de l’enfant avant les obsèques, seul le couple, et surtout la mère, l’intègre dans son quotidien, dans sa chair.

On va souvent réagir en disant “Ne vous en faites pas. Vous aurez d’autres enfants”. L’intention est bonne et oui, bien sûr, nous aurons très certainement d’autres enfants. La preuve, j’en ai eu trois après Raphaëlle.

Mais ce n’est pas le cas de tout le monde et ces phrases viennent parler à notre raison. Dans ces moments de grande souffrance, il n’y que le cœur qui entend. Être présent, même sans parler, partager la souffrance de l’autre un instant, accepter que la souffrance fait partie de la vie… ce sont des éléments touchants pour une douleur inconsolable.

Le corps médical est souvent démuni dans ces situations difficiles de mort fœtale. Formé pour accueillir la vie, un obstétricien apprend souvent sur le tas le meilleur moyen d’annoncer un décès et l’attitude juste à adopter face aux couples en souffrance. Cela le renvoie à sa propre relation à la mort. Il peut en avoir peur et dire des mots inadaptés.

Les parents sont parfois blessés par le malaise du professionnel ou par des mots maladroits. Ne manquerait-il pas de formation humaine auprès des soignants susceptibles de rencontrer des cas de décès périnatals ?

Inscrire une vie

Un grand pas a été franchi en France en 2008. De nouveaux décrets permettaient pour la première fois l’établissement d’un certificat d’accouchement ouvrant droit à l’inscription à l’état civil et aux obsèques pour tout bébé né sans vie à partir de 15 semaines d’aménorrhée, formé et sexué. De nombreux parents ont pu faire inscrire rétroactivement le prénom de leur enfant décédé dans leur livret de famille.

Un acte morbide ? Au contraire, cette inscription permet de franchir un pas dans son chemin de deuil. Tout comme la journée “Une fleur, une vie”. Ce collectif crée du rituel là où il en manquait peut-être au moment où l’on a perdu son enfant.

Poser une fleur dans un vase donne à remémorer la vie de celui-ci. On l’incarne en quelque sorte pour les frères et soeurs de la fratrie, pour les grands-parents aussi. Pour que chacun trouve sa place et que l’on sache collectivement que la mort fait partie de la vie. On ne peut pas l’éliminer, mais on peut la transformer, lui attribuer des couleurs, une forme, une beauté.

Je suis coordinatrice de la Journée de sensibilisation au deuil périnatal qui aura lieu pour la deuxième fois ce samedi 3 mai, à Paris. Cette journée est organisée par “Une fleur, une vie” le collectif composé de quatre associations : AGAPA, ADEP56, l’Enfant sans nom – Parents endeuillés et Naître et Vivre.

De nombreuses personnes touchées de près ou de loin par le décès d’un bébé pendant la grossesse ou autour de la naissance, viendront poser une fleur en mémoire de celui-ci, tout au long de la journée. Un bouquet immense se formera sur le parvis de la Mairie du 15e arrondissement. Des ateliers artistiques seront proposés au public.

Dans un élan de créativité, nous souhaitons donner de l’espoir aux parents qui vivent ce drame si difficile et donner une place dans notre société à ces bébés passés sous le silence.

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